L'art de l'affinage

Posté il y a1 An .

 

Vous le savez maintenant, l'affinage est la dernière phase de l'élaboration d'un fromage [relisez notre article du lait au fromage].

C'est lors de cette phase que se développera tout son goût, mais pas que. Alors, avant de comprendre ce qui se passe dans notre fromage pendant l'affinage, déterminons pourquoi l'affinage est si important

 

 

3 raisons d'affiner le fromage 

 

Consommer le lait plus longtemps 

Durant l'affinage une croûte protectrice se forme autour du fromage, il perd son humidité, ce qui nous permet de consommer son lait en différé. 

A l'époque, lors des périodes d'abondance du lait après les mises bas, il était important de trouver un moyen de conserver le lait, pour les périodes moins abondantes et c'est ainsi que l'affinage du fromage devint vital. 

 

Développer les flaveurs 

La flaveur est "l'ensemble des sensations olfactives, gustatives et tactiles ressenties lors de la dégustation d'un produit alimentaire"

On parle donc ici, du développement du goût, de l'odeur et de la texture du fromage. L'affinage produit et libère des composés aromatiques, on en dénombre environ 400 pour un comté. La personnalité de chaque fromage se révèle grâce à l'affinage, à l'aveugle il n'est pas aisé de différencier deux très jeunes fromages. 

Comme nous le verrons, la dégradation des protéines, qui correspond en quelque sorte au squelette du fromage, va modifier la texture du fromage, selon le type de fromage, elle sera plus crémeuse, fondante ou au contraire plus ferme. 

 

 

Obtenir des fromages uniques 

Finalement l'affinage nous permet d'avoir des fromages uniques. Le fromager peut contrôler, la couleur du fromage, sa texture, son goût, son odeur, tout ça grâce à des réactions biochimiques et enzymatiques que nous allons voir. La fabrication d'un fromage, est loin d'être évidente, il y a de nombreux facteurs qui peuvent influer sur le développement de celui-ci. 

 

Qu'est-ce que l'affinage ? 

Rentrons à présent dans le vif du sujet, nous connaissons les biens faits de l'affinage, découvrons maintenant comment un fromage tout juste démoulé devient en quelques mois un délicieux comté. 

 

Un lent processus subtil et complexe 

L'affinage est un composé de réactions biochimiques et enzymatiques

Il s'agit d'un processus de digestion continue. Dans un premier temps, les micro-organismes tels que les moisissures, levures, bactéries dévorent les nutriments (protéines, graisses, sucres) présents dans le caillé, la structure et la texturent du fromage va alors se transformer, cette réaction va aussi permettre de libérer de nombreux composés chimiques dont les composés aromatiques

Dans un second temps, les enzymes, qui proviennent du lait, des coagulants ajoutés, des bactéries présentes dans le caillé, transforment, elle, la matière. Le fromage acquiert de la saveur et modifie sa texture.

 

 

 

Des dégradations en chaîne. 

 

Protéolyse

La dégradation principale qui se produit lors de l'affinage est celui de la protéine et elle se produit lors de la protéolyse. 

On se trouve dans une phase d'alcalinisation, c'est-à-dire que le PH du fromage remonte et les protéines sont coupées en chaînes plus courtes (hydrolyse), la protéine devient donc peptides, puis acides aminés, le fromage perd alors peu à peu sa tenue. Mais surtout, se produit la dégradation des acides aminés qui libèrent de nombreux composés aromatiques. On estime d'ailleurs à 80% le nombre de composés aromatiques, présents dans le fromage, liés à la dégradation des acides aminés et ses conséquences en chaîne. 

 

Lipolyse

Vient ensuite l'étape de la déstructuration et dégradation des matières grasses. Ici, les ferments présents dans le caillé et sous la croûte du fromage se nourrissent des matières grasses qui sont pour 95% sous la forme de glycérides. 

Lors de la première étape de ce processus, la lipolyse détache les acides gras du glycérol, qui a une incidence directe sur les saveurs du fromage

Puis les acides gras libérés vont, par oxydation, produire des alcools et des cétones qui participent à l'aromatisation des produits

 

Glycolyse

Enfin, l'étape de la consommation des sucres. 

Cette étape n'est pas présente pour tous les fromages. En effet, elle se produit uniquement pour les fromages contenant encore du lactose (sucre) lors du démoulage, soit essentiellement les fromages à pâte molle. En principe, les fromages à pâtes pressés n'en contiennent plus si la fabrication et l'égouttage ont été correctement menés. 

Ici encore se libèrent, par petite touche, des composés aromatiques.  

 

 

Des micro-organismes 

Ces dégradations sont possibles grâces aux micro-organismes.                                                                          

 

Les bactéries lactiques

Elles sont primordiales lors de la phase initiale de coagulation et d'égouttage par l'acidification qu'elles produisent. 

Mais pendant l'affinage aussi, puisqu'elles vont transformer les sucres en acides lactiques et en CO² favorisant les ouvertures dans la pâte. Elles vont aussi dégrader les protéines (protéolyse) en composés aromatiques. 

Elles s'expriment le mieux entre 30 et 35°C. 

 

Les levures 

Il s'agit d'une famille très riche, puisqu'un millier d'espèces sont recensées. Elles ont plusieurs missions : 

          -consommer les sucres,  

          -favoriser l'implantation de moisissures, par la désacidification de la surface du fromage, 

          -contribuent à la production d'arôme, car acteur de la protéolyse et donc , 

          -réduit l'amertume car dégrade les peptides amers  

          -limitent l'implantation des flores indésirables. 

Elles se développent de manière optimale entre 20 et 25°C. 

 

Les moisissures 

Ce sont elles, qui de manière générale, vont le plus "typer" les fromages, car elles les travaillent en profondeur. Les plus connus sont les Pénicillium (roqueforti, camemberti)

Elles vont se développer de manière optimale entre 20 et 25°C

 

Les bactéries d'affinages 

On va les retrouver principalement en surface. Comme, par exemple, le "ferment du rouge" de son petit nom brevibacterium linens, la bactérie reine des fromages à croûte lavée, comme le Maroilles. 

Les bactéries se retrouvent sous deux formes, les microcoques qui stimulent l'action des bactéries lactiques et les entérocoques qui assurent la protéolyse. 

 

Les enzymes 

Elles proviennent essentiellement des ferments utilisés mais aussi des coagulants et du lait. 

On retrouve les enzymes natives du lait (lipase, plasmine, phosphatase alcaline), qui vont avoir un rôle marginal sur la protéolyse, mais plus important sur la lipolyse lorsque le fromage sera au lait cru.

Ce sont les enzymes dites apportées (pepsine, chymosine), malheureusement pas efficaces pour les pâtes pressées cuites, car elles sont détruites par la chaleur, elles restent néanmoins importantes pour les pâtes molles pour la protéolyse dont 35% à 55% est dû à la pepsine. Par conséquent, si on souhaite conserver un fromage plus longtemps, on a tout intérêt à choisir des coagulants pauvres en pepsine. 

 

On retrouve les enzymes microbiennes. En effet, la plupart des micro-organismes sécrètent des enzymes, leurs activités restent cependant très variables. Mais on retrouve ici, les "ferments du commerce" qui permettent de "typer" avec régularité un fromage, puisqu'on contrôle leur apport. Le plus souvent dispersés dans le lait dès la fabrication on peut les retrouver sous forme liquide, lyophilisés, congelée. 

  

Les Leviers de l'affinage 

Découvrons maintenant les éléments que peut contrôler le fromager dans sa cave pour favoriser l'affinage. 

 

 Températures

Un paramètre fondamental à maîtriser avec beaucoup de finesse

Elle a un effet : 

-sur le développement microbien. 

-sur les activités enzymatiques

 

La vie microbienne 

Comme vous avez pu le remarquer, les micro-organismes ont besoin de certaines températures pour se développer. Par exemple, 2°c pour le penicillium roqueforti et 6°c pour le penicillium camemberti. 

Mais au-delà d'une certaine température, leur action peut être inhibée. Par exemple, pour les moisissures c'est au-dessus de 25°c tandis que les levures c'est au-delà de 30°c, pourtant les bactéries lactiques restent elles, en pleine forme jusqu'à 40 à 45°c. 

 

Bien sûr, lors de l'affinage, chaque micro-organisme n'a pas besoin de se développer au maximum, cela dépendra du fromage que l'on veut obtenir, on choisit alors de privilégier tel ou tel micro-organisme. On retrouve quand même une moyenne de 10 à 12°c dans les caves d'affinage, qui peut être diminué en fin de cycle lorsque l'on souhaite ralentir le processus. 

 

Cave de comté sur planche d'épicéa.

L'activité enzymatique

Cette activité comme vous l'aurez compris précédemment jour un rôle important sur la texture du fromage lors de la protéolyse et la lipolyse. C'est de 30 à 35°c que l'activité des enzymes est la plus prononcée sur la matière grasse, mais de 40 à 45°c pour les protéines. Bien sûr, des températures qu'il est hors de question d'atteindre lors de l'affinage car elles déstructureraient le fromage et brusqueraient l'affinage. 

 

Si parfois, l'augmentation de quelques degrés pour rendre l'affinage du fromage plus rapide a pu être étudié, il y a souvent plus de risques que de bénéfices. En effet, la protéolyse primaire risque d'être favorisée au détriment de la protéolyse fine, des flores vont prendre le dessus, des défauts risquent d'apparaître, un goût de plastiques ou de l'amertume peut se développer

La patience est le maître mot. 

 

 

 Hygrométrie 

Que l'on peut retrouver sous la forme "activité de l'eau" (AW), humidité relative (HR), elle représente la richesse en eau de l'atmosphère et du fromage.  Lors de la fabrication, une grande partie de l'eau a été évacuée (par égouttage, chauffage, brassage, pressage) et selon le fromage souhaité à plus ou moins forte proportion. 

 

Lors du processus d'affinage on souhaite limiter la perte en eau du fromage pour plusieurs raisons : 

          -permettre à la vie microbienne d'être active et de générer des composés aromatiques, 

          -donner des textures souples et fondantes (à moins de rechercher une pâte dure à longue durée de conservation) 

 

Plusieurs points peuvent conduire à dessécher un fromage

          -une température élevée qui conduite à une évaporation 

          -une ventilation directe par air sec

         -la caractéristique même d'un fromage : en effet, un fromage avec une surface de croûte importante aura une surface d'évaporation plus grande, alors qu'un fromage très compact se protégera mieux. De même, l'épaisseur et la porosité de la croûte. Enfin selon la minéralisation et la biochimie de la pâte, l'eau sera plus ou moins disponible, aura plus ou moins de capacité à migrer. 

Robot qui frotte le comté de morge

Mais où trouver de l'eau dans une cave ? 

         -avec le fromage lui-même, plus une cave est chargée en fromage plus son hygrométrie va être forte. 

         -avec certains matériaux, les planches d'affinage ou des murs en briques, se chargent d'eau et la restituent. 

       -avec l'ambiance de la cave : un local d'affinage nécessite une hygrométrie de l'ordre de 85 à 98%. Une saturation à 100% est difficilement accessible techniquement. Il faut savoir que les fromages à croûtes lavées ont besoins d'une hygrométrie très élevée alors que ceux à croûte sèche ont des besoins plus modestes. 

        -avec l'humidification de la croûte : certains soins de surface permettent d'humidifier les fromages : le lavage (eau salée) souvent utilisés pour les pâtes molles (époisses, munster), pour les pâtes pressés cuites, c'est la technique du morgeage (application d'un mélange, de sel et de micro-organismes pour développer une croûte). Dans tous les cas de lavage permet d'humidifier le fromage et de stimuler le travail des flores d'affinage de surface qui vont contribuer via la protéolyse et lipolyse. 

 

 

  Gestion de l'air 

Une mauvaise gestion de l'air peut provoquer des pertes d'humidité et de matières importantes. 

 

Le brassage de l'air 

On parle ici du taux de brassage (vitesse de l'air), qui a un rôle de premier plan, puisque l'air qui circule dans la cave va capter l'humidité des fromages, elle va contribuer à son évaporation et donc au dessèchement de la croûte alors que le coeur peine à s'affiner 

Plus l'air et sec et plus l'évaporation sera forte. Par exemple, les fromages lactiques de chèvre sont très sensibles à ce phénomène, exposés à un flux d'air sec, ils peuvent très rapidement se rabougrir et se dessécher. 

 

Cette perte d'humidité s'appelle la "freinte". On peut l'observer visuellement, mais la manière la plus sûre et la pesée des fromages. La position du fromage dans la cave (bordure, près d'une entrée d'air, en bas...) peut influer sur la freinte du fromage. C'est au fromager de s'assurer de l'homogénéité de celle-ci en déplaçant les piles, en ajustant le débit, l'orientation des flux. 

 

Les effets de l'oxygénation 

On parle ici, du taux de renouvellement de l'air, en effet, celui-ci va avoir un impact sur la teneur en oxygène, en CO² et en ammoniac. 

Certains micro-organismes ont besoin d'oxygènes, tandis que d'autres peuvent s'en passer. Les moisissures sont quant à elles gourmandes en oxygènes, c'est pourquoi les bleus utilisant du penicillium Roqueforti doivent être piqués avec des aiguilles pour favoriser leur dégazage et leur oxygénation à coeur et donc la pousse de bleu. 

 

CO² et ammoniac 

Lors de son affinage le fromage libère du CO² et de l'ammoniac (NH3) dans la cave. 

Les micro-organismes lorsqu'ils se nourrissent des nutriments du caillé, libèrent notamment du gaz carbonique (et donc de la chaleur). C'est ce procédé, qui permet, lorsqu'il est retenu dans le fromage par sa croûte de créer des ouvertures de tailles plus ou moins important, comme l'emmental. 

 

L'ammoniac lui est provoqué par la dégradation des acides aminés. Il est reconnaissable à son odeur, il faut d'ailleurs l'évacuer pour des raisons de confort du personnel, des normes définissent les limites. Mais il a également un effet sur le fromage, il peut agir sur son ph, qu'il contribue à remonter, augmentant ainsi la vitesse de l'affinage, il rendra ainsi un fromage morgées, poisseux. 

 

Renouveler l'air 

On comprend donc que chacun de ces éléments demande un renouvellement de l'air. 

 

Conclusion 

L'affinage d'un fromage est la maîtrise d'un certain nombre d'éléments, parfois très difficile à maîtriser. 

 

L'affinage est un art, celui de transformer un fromage tous juste démoulé, en fromage plein de saveurs et d'arômes. Et on peut dire merci, a cette nature microbienne, que nous faisons qu'accompagner dans son processus, qui nous permet d'avoir cette richesse de fromage, de goût, de forme, de texture. 

 

Sans l'affinage cette richesse n'existerait pas, mais l'affinage n'est possible que si le lait dès son origine et tout au long de son processus de transformation est ensemencé des bons micro-organismes. 

 

 

 

 

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